Le pavé mosaïque

Publié le par christian BELLOC

Me voici devant vous, rompant le silence pour la première fois, pour vous faire part de mes réflexions sur le thème du Pavé Mosaïque. Avant de commencer je voudrais préciser que ce sujet de planche ne m’a pas été imposé mais que je l’ai choisi. Le tableau de loge est riche en symboles, alors, pourquoi avoir choisi celui-ci plutôt qu’un autre ? Si ce symbole a trouvé en moi un écho immédiat c’est probablement parce qu’il me rappelle des moments heureux de mon enfance. Des moments liés aux jeux. A ce jeu que nous avions inventé, avec mes cousines, sur les dalles noires et blanches d’un couloir chez nos grands-parents. A ces parties d’échecs que nous faisions avec mes camarades du club de mon collège. Des jeux, certes, mais aussi une passion : l’Histoire. Des souvenirs me reviennent de cours, au lycée et à la fac,évoquant la franc-maçonnerie et suscitant en moi la curiosité, et, je dois bien l’avouer, une certaine fascination. Le pavé mosaïque était pour moi, dès cette époque, indissociablement liéà la franc-maçonnerie au même titre que l’équerre et le compas. Aujourd’hui ce long cheminement m’amène humblement devant vous, non sans fierté, pour vous présenter mon travail. Je vais tenter de vous restituer tout l’intérêt et tout le plaisir que j’ai pris à plancher sur ce symbole et toute la richesse que j’ai pu découvrir en l’étudiant. Tout d’abord, il faut définir ce qu’est un pavé mosaïque. C’est un damier de dalles carrées blanches et noires composant le sol entier ou un espace rectangulaire au centre de la loge. C’est sur ce pavé mosaïque que se place le tapis de loge différent selon les degrés et les rites. Pavé vient du latin « pavare » ou action de niveler. C’est une pierre taillée, un bloc épais d’un matériau dur généralement de forme cubique, utilisé pour le revêtement des chaussées. Le pavé, par extension, désigne également le revêtement formé de tels blocs. De la qualité du travail de nivellement du sol dépend la stabilité de la construction. Selon d’anciens rituels, le pavé représente l’union étroite qui doit régner entre les frères maçons liés entre eux par la vérité, la justice et l’harmonie. N’est-ce-pas autour de lui que nous formons la chaîne d’union à la fin de nos travaux ? La plus ancienne mosaïque de pavement qui nous soit parvenue fut découverte en Phrygie (en Asie Mineure) et a été datée du VIIIème siècle avant Jésus Christ. Mosaïque vient de l’italien « mosaico », lui-même venant du latin ancien « musivum » dont l’étymologie serait le grec « mouseion », le temple des Muses et des Arts, qui a donné en français le mot musée. Au passage, il est intéressant de noter que les Muses sont au nombre de neuf tout comme le nombre d’offices au Rite écossais ancien et accepté. La mosaïque est un art décoratif qui consiste à assembler des pièces multicolores de matériaux durs dites tesselles, juxtaposées pour former un dessin et liées par un ciment. Un parallèle peut-être fait avec les tessères aux usages multiples dans l’Antiquité qui étaient des tablettes carrées sur lesquelles étaient inscrit un mot ou un signe de reconnaissance. Or l’une des origines du mot « symbole » fait référence à l’acte de réunir les deux parties d’une tessère. La technique du pavement mosaïque peut donc être mise en relation avec l’acte de faire symbole, de même qu’avec la pratique de la fraternité, puisque l’on sait que la tessère, coupée en deux, servait dans l’Antiquité à des frères d’une même appartenance à se reconnaître entre eux. Quelque soit l’époque, dès que l’homme a célébré des rites, il a commencé par déterminer un espace sacré. Dans notre loge cet espace sacré est délimité par les trois piliers de la Sagesse, de la Force et de la Beauté. Cet espace sacré, saint des saints, n’est jamais foulé au pied mais contourné, et c’est autour de lui que se font les déplacements pendant nos travaux, dextrorsum, c’est à dire dans le sens des aiguilles d’une montre. C’est un carré long, dit de Pythagore, considéré par les anciens comme le point de départ de toute géométrie. Les bâtisseurs se servaient d’une corde à douze nœuds pour former ainsi un triangle composé de 3, 4 et 5 nœuds de côté dont les proportions permettent de tracer l’équerre parfaite, celle fixée au sautoir du Vénérable Maître. Après l’avoir déplacé symétriquement dans l’autre sens, ils avaient un rectangle ou carré long, sans avoir eu recours à une règle ou un compas. Le pavé mosaïque serait la survivance d’une planche à tracer quadrillée dont les maçons opératifs se servaient pour tracer les esquisses des pierres. Une sorte de jauge qui leur permettait de reporter une mesure fixe et de vérifier qu’une série d’éléments avaient,tous, la même dimension. Aucun texte biblique, notamment dans le Livre des Rois, ne fait allusion à un dallage noir et blanc concernant le Temple de Salomon. Cependant le pavé que nous connaissons est bicolore, il est la représentation de la diversité des frères qui composent la loge, forcément différents mais liés entre eux par le ciment de la fraternité. Il symbolise le vrai Centre d’Union où se rencontrent fraternellement des hommes qui, sans la franc-maçonnerie, seraient demeurés perpétuellement étrangers les uns aux autres. Bicolore disais-je, noir et blanc. Le noir et le blanc évoquent l’altérité absolue, l’absence de lumière opposée à la plénitude de la lumière. En effet le noir est absence complète de lumière et de couleurs, absorption totale des rayons lumineux. Le blanc résulte de la combinaison de toutes les couleurs du spectre lumineux. Ainsi le noir évoque le froid mais attire la chaleur en captant les rayons énergétiques. Le blanc, quant à lui, garde le froid en réfléchissant la chaleur. Le noir c’est la nuit mais de l’obscurité jaillit la lumière. Le blanc c’est le jour, mais la lumière aveugle et ne permet pas la vision des étoiles. La lumière naît des ténèbres, disais-je, mais ne créé t’elle pas aussi l’ombre ? Ombre et lumière semblent, dès lors, non pas opposées mais composées l’une par l’autre, comme l’évoque le symbole oriental du YIN-YANG. Le pavé mosaïque est le symbole du vivant manifesté sous forme d’oppositions ou de complémentarités que l’on peut décliner à l’infini : noir et blanc, bien et mal, esprit et matière, lumière et ténèbres, masculin et féminin, connaissance et ignorance, etc. C’est sur la base de cette dualité, inhérente à toute vie, que s’édifie le temple. Une dualité née du Principe, le Un, moteur de la création de l’Univers à partir duquel peut se développer le multiple dont la dualité est la première expression. Il est indéniable qu’un des écueils possibles de compréhension de ce symbole serait de n’avoir qu’une vision dualiste du monde, de ne le percevoir que noir ou blanc.De n’en avoir qu’une vision manichéenne en somme. Cela engendrerait inévitablement des attitudes passionnelles, intransigeantes, dogmatiques qui n’aboutiraient qu’à la haine, au sectarisme, voire au racisme. Cela nous rappelle que si toute chose créée est nécessairement duelle, une vision duelle des choses ne conduit qu’à la division et à l’intolérance. Notre responsabilité en tant que maçon réside au contraire, pour reprendre une expression des bâtisseurs : d’apprendre à« faire le joint ». A nous de vivre un devoir de fraternité consistant à se créer les uns par les autres. A nous d’apprendre à réunir ce qui est épars, et apparemment opposé, pour que le travail permette à la loge de faire symbole avec le Principe créateur. Saint-Exupéry l’exprimait ainsi : « Si tu veux unir les hommes, fais-les bâtir ensemble, tu en feras des frères. » Pour le maçon cela implique qu’il lui faudra dominer les zones obscures et tirer profit des zones de clarté, il lui faudra trouver la Voie du Milieu ou troisième voie. Cette voie médiane chère aux bouddhistes qui préconise de s’écarter des extrêmes. L’extrême matérialiste d’un côté qui consiste à rechercher le bonheur dans ce qui est à l’extérieur de nous, désir d’accumuler des biens matériels, d’assouvir ses instincts primaires. Le monde profane et la société consumériste en offre de multiples exemples. L’extrême spiritualiste de l’autre, c’est à dire tout ce qui tend à dégager l’homme des liens de la matière, mais par lequel on évite la véritable rencontre de soi qui est l’inspiration originelle de toute quête, de tout chemin de vérité et de sagesse. Dès lors, l’initié, devant toute dualité, se doit de chercher une troisième voie. N’est ce pas dans le joint invisible entre ces carreaux blancs et noirs que la conciliation des contraires est rendue possible ? Le pavé mosaïque nous invite donc à dépasser toute dualité, à faire de nos contrastes et de nos différences un atout, et non une source de conflits. « Celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit »écrivait Saint-Exupéry. Nous retrouvons, d’ailleurs, le pavé mosaïque sur le tableau de loge. Et sur celui-ci, il est situé sur le parvis du temple, et de ce fait, à l’extérieur. Qu’est ce à dire ? Sinon qu’il nous faut laisser nos métaux à la porte du Temple. Abandonner notre vision binaire de profane et l’interprétation duelle que nous pouvons avoir de ce symbole, c’est à dire les préjugés, l’ignorance, les illusions. Rappelons-nous qu’en demandant l’entrée du Temple nous sommes venus chercher la lumière. En n’oubliant jamais que la lumière n’éclaire l’esprit humain que lorsque rien ne s’oppose à son rayonnement. Gardons en mémoire la symbolique du bandeau pendant l’initiation. Cette troisième voie ou Voie du milieu est une recherche d’équilibre qui passe par la tolérance, le respect de l’Autre et doit se faire avec tempérance et humilité. Cette humilité qui renvoie à l’humus, à la terre riche en potentialités, en capacité de recevoir la lumière et de la faire fructifier. Le mot V.I.T.R.I.O.L. rencontré dans le cabinet de réflexion, lors de notre initiation et le passage de l’épreuve de la Terre, nous invite à descendre en nous-mêmes et à faire cette démarche de connaissance de soi afin de devenir un être authentique, un vrai maçon ayant reçu la lumière. Mais l’humilité sans construction est stérile, et la construction sans humilité n’est que vanité. Dès lors, nous pouvons considérer le pavé mosaïque comme fondement et base de la construction de notre temple, il nous permet de trouver la stabilité à partir de laquelle il devient possible d’élever l’œuvre. Et il est en même temps la manifestation d’une forme contenant l’univers manifesté, évocation de la dualité née de l’Unité du Principe Créateur que nous appelons le Grand Architecte de l’Univers. Il est à noter que pour les égyptiens, comme pour un certain nombre de civilisations antiques, la Terre n’était qu’un niveau intermédiaire entre l’inframonde et le Ciel, monde des dieux. En écriture hiéroglyphique, les égyptiens représentaient la Terre par un carré dans un cercle, soit la Terre dans l’Univers. La loge se présente comme un univers microcosmique à l’échelle de la Terre, qui elle-même serait un microcosme à l’échelle universelle. Le pavé mosaïque, carré long, de même proportion que notre temple, symboliserait ce niveau intermédiaire qui nous relierait à la voûte étoilée, et par là, au Grand Architecte de l’Univers. Cet axe vertical, symbolisé dans certaines loges, par un fil à plomb fixé à l’étoile polaire et descendant de la voûte étoilée jusqu’au pavé mosaïque. Ainsi, si nous voulons bien voir ce qui se trouve au centre de la loge, c’est à dire le pavé mosaïque, délimité par les trois piliers, et recouvert par le tableau de loge et ses symboles, nous avons devant nous tous les éléments permettant de construire à l’image du cosmos. Il nous appartient de répondre à cette invitation à la démarche initiatique, d’apporter notre pierre à l’édifice et de poursuivre notre quête,profonde et personnelle, comme un commencement sans cesse renouvelée.
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